Ca fait des mois, des années que je veux reprendre le chemin de l'écriture, et que je ne le fais pas.
Il y a quatre ans, durant le confinement, j'avais mis en place une newsletter sur le yoga pour garder le lien avec les élèves de mon studio. Néanmoins, écrire sur ce sujet en particulier, c'est comme si ce n'était pas écrire. C'est comme à l'école, c'est rendre un devoir. Faire des recherches sur un sujet, organiser sa pensée puis articuler son propos, c'est un exercice dissertatif. Ecrire sur soi, sur ce qui nous touche, c'est autre chose. Mine de rien, c'est comme sortir sans maquillage ou se mettre en maillot de bain. Il faut accepter de se montrer tel que l'on est et, plus encore, accepter de s'exposer au regard d'autrui.
Je suis fascinée par celles et ceux qui ne se posent pas de questions. Qu'est ce qui fait que l'on se sent légitime à s'exprimer ? Lorsque j'y songe, immanquablement, "ça n'intéresse que toi" ou sa variante "ça ne va intéresser personne" sont les premières pensées qui me viennent et me retiennent. Qu'est-ce qui différencie quelqu'un qui rencontre ces doutes de quelqu’un qui ne les ressent pas de façon paralysante ? J'adorerais en vouloir à mes parents de ne pas m'avoir transmis suffisamment de confiance mais je ne crois pas que tout se joue à cet endroit. Ou plutôt, je n'ai pas envie de le croire car ça signifierait alors que l'on ne dispose d'aucune possibilité d'évolution et ça me déprimerait.
Si j'ai envie de quelque chose, le faire. Et dès que les doutes s'amoncellent, revenir à cette phrase simple. Si j'en ai envie, faire. Ne pas regarder la marche au-dessus, ne pas anticiper. Rester déjà ici, faire.
Du coup, bonjour, enchantée. Je m'appelle Lucile et d'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours adoré les histoires. J'étais une enfant très calme, silencieuse, observatrice. Je portais déjà des lunettes, j'avais une frange et, le samedi soir, ma mère me faisait des tresses pour que j'ai les cheveux ondulés le lendemain. J'étais assise sur ses genoux dans le gros canapé noir et on regardait des rediffusions de "Chapeau melon et bottes de cuir". Parfois, je chouinais parce qu'elle me tirait les cheveux et que ça me faisait mal. Ensuite, on dinait et, le samedi soir, c’était toujours des pâtes parce que mon père avait sa sortie vélo le lendemain. J'ai toujours beaucoup lu, énormément lu. Au point d'être cet enfant regardé un peu bizarrement sans que je ne saisisse pourquoi. Enfin, si, je voyais bien que j’étais la seule gamine de 10 ans à emprunter les bouquins de la Section Adultes de la bibliothèque municipale mais quoi ? Lorsqu’on me demandait si je n’avais pas envie de sortir ou d’aller jouer avec les autres, je me retenais de dire que, dans mon livre, les personnages ils ont des pouvoirs, ils vivent des aventures, des sensations fortes, ils vivent et toi, toi t’as fait quoi depuis ce matin dans ta vie sans pouvoirs et sans aventures. Il a toujours été évident pour moi que la vie est mille fois mieux dans les livres. Je n'ai jamais compris pourquoi les gens n'ont pas compris.
Rapidement, j'ai gribouillé. En CE2, ma mère a dit à ma maîtresse que j'avais écrit une histoire dans un petit cahier, avec des personnages, une intrigue et tout. Ca n'a pas loupé, la maitresse m'a demandé de lire mon histoire devant toute la classe. Je me souviens du silence affolant dans la pièce et de mes joues cramoisies durant cette lecture. Croyez-le ou non, cet épisode additionné à mon premier prix du concours de dictée ne m'a pas facilité la tâche pour me faire des amis.
J'ai toujours écrit. Pour de vrai ou dans ma tête, j'ai toujours écrit. Lorsque j'étais petite, ma grand-mère m'avait un jour tapé sur la main tandis que nous étions à table. Elle avait remarqué que j'écrivais tous les mots que les gens prononçaient autour de moi. Je pinçais mon index et mon pouce, comme si je tenais un stylo imaginaire, et j'écrivais sur la table en bois de la cuisine. La pauvre, elle a cru que j'étais complètement cinglée. Des années plus tard, je me suis bien gardée de lui dire que, parfois, je répète des phrases dans ma tête et que je les réagence pour que le nombre de mots qui les composent soit pair. AHAH C’EST QUI LA CINGLEE MAINTENANT.
Raconter des histoires, c’est peut-être une façon pour moi de regarder ma vie avec mes yeux d’enfant. De me dire que je me suis trompée et que la vie est moins maussade que ce que j’en devinais. Il y a bel et bien des aventures et des intrigues et des rebondissements et des sensations fortes. Finalement, si j’allais aujourd’hui voir la gamine que j’étais, je lui dirais de sortir, non pas pour être normale et faire comme tous les autres enfants, non. Je lui dirais de sortir parce qu’il faut vivre pour pouvoir écrire des histoires.
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