Soyez votre propre radeau et portez des Crocs à votre pointure

Sur cette photo, je porte des Crocs que l'on m'a prêtées en taille 42. Au premier pas, mon petit 37 s'est enfoncé dans la vase et a eu bien du mal à ressortir avec la sandale toujours accrochée. À chaque fois que je posais mon pied, la vase aspirait. A chaque fois que je posais mon pied, le pas suivant me coûtait. Et pas que sur cette photo.

Le Pédiluve
3 min ⋅ 14/01/2024

Cette photo a été prise en août 2021.

Nous étions trois. Pieran, Brice et moi. Sur une plage de la Rochelle. Ou proche de la Rochelle parce que j'en sais trop rien, je ne suis pas du coin. C'est Brice qui connait. C'est un gars de l'océan, c'est ce qu'il dit. J'aime beaucoup Brice. Il a un sourire immense. Y a des gens comme ça, ils sourient et c'est direct quatre halogènes qui s'allument dans ton salon. Alicia aussi elle a un sourire comme ça.

Brice et moi sommes très différents l'un de l'autre, c'est pour ça que je l'aime autant. Je pourrais le regarder exister des heures, fascinée de le trouver naturel et confortable là où je sais que ça me coûterait. Heureusement, notre amitié repose également sur des choses qui nous rassemblent comme notre curiosité et notre inclinaison pour l'apprentissage par l'expérience. Enfin, je crois que ça nous rassemble. Il faudrait que je lui demande. Toutefois, cette newsletter n'est pas consacrée à Brice mais aux chaussures qu'il m'avait prêtées ce jour là, le jour de la photo. Nous allions ramasser des bidules sur la plage dans l'eau retirée de la marée haute (je ne suis pas une fille de l'océan). N'ayant que des baskets dans ma valise, Brice m'a proposé les Crocs de sa mère. Qui chausse du 42. Autant vous dire qu'au premier pas où je me suis enfoncée dans la vase, mon petit 37 a eu bien du mal à ressortir avec la sandale toujours accrochée... À chaque fois que je posais mon pied, l'eau s'infiltrait, la vase aspirait. A chaque fois que je posais mon pied, le pas suivant me coûtait.

Pourquoi je vous dis ça ? Parce que c'est exactement la sensation que j'ai eue ces dernières semaines. Sauf qu'il n'y avait pas de Crocs, pas Brice et pas la Rochelle. J'ai compté les jours jusqu'à mes vacances de Noël. Je les ai vraiment comptés, c'est quelque chose que je n'avais pas fait depuis longtemps. Lorsque je visualise ces quelques jours de pause dans ma tête, ça dépasse le stade de la visualisation pour atteindre celui du fantasme. Je me dis que ça va être génial. Je nous vois avec ma soeur en train de lire dans le même lit, je reconnais les tartines de mon père le matin, ma mère emmitouflée comme un bonhomme de neige sur le vélo. Je pense aux balades, au silence, aux croissants achetés au saut du lit, à l'odeur de la raclette, aux nuits réparatrices. Puis, une main invisible m'attrape par le col et je me rappelle de me méfier de tout ça, de toute cette projection que je fais. C'est une tendance qui est très forte, très ancrée chez moi. Je suis la première cliente des croyances telles que "là je me donne à fond mais ensuite ça sera bon", "dans deux semaines, c'est la délivrance", "il suffit que j'aille jusque là et ensuite ça ira". Ces croyances sont néfastes parce qu'elles sont fausses. La vie n'est pas un interrupteur. On ne passe pas du noir le plus obscur à une clarté éblouissante. La vie, c'est de la nuance. D'ailleurs, ce n'est qu'une immense palettes de nuances.

Lorsque j'ai remarqué que j'attendais ces vacances comme un radeau salutaire, je me suis redressée. Oui, ces vacances vont me permettre de respirer mais elles ne constitueront pas un radeau. C'est à moi d'être mon propre radeau et de prendre soin de moi si j'en ressens le besoin. Il y a bien sûr quelques exceptions à ce que je m'apprête à énoncer mais, généralement, rien ne change si vous ne changez rien. Au moment où je me suis rendue compte que ces vacances allaient me faire du bien mais, qu'une fois finies, je retrouverais le même contexte que celui qui m'a fait avoir tant besoin de ces vacances, je me suis dit qu'il était nécessaire que je modifie quelques trucs en janvier. Le salut ne viendra pas de l'extérieur, je crois que c'est ce que j'ai compris au fil des années. Et je vous le dis parce que ça me fait du bien de me le rappeler de temps en temps et peut-être qu'à vous aussi. Prenez soin de vous. Si vous en ressentez le besoin, prenez vous-même soin de vous-même. Et si on vous propose des Crocs en taille 42 alors que vous chaussez du 37, ne dites pas "oui, pas de problèmes, ça ne fera pas tant de différence". C'est faux. Vous allez vraiment avoir du mal à marcher dans la vase.

Le Pédiluve

Par Lucile Mesange

Les derniers articles publiés