Il y a un trait de caractère que ma soeur salue chez moi, c'est ma capacité à démarrer de nouvelles choses, à repartir de zéro et, immanquablement, à me confronter à ma nullité. Être nulle ne me dérange pas. C'est lorsque ma soeur me l'a dit que je m'en suis rendue compte.
Il y a un trait de caractère que ma soeur salue chez moi, c'est ma capacité à démarrer de nouvelles choses, à repartir de zéro et, immanquablement, à me confronter à ma nullité. Être nulle ne me dérange pas. C'est lorsque ma soeur me l'a dit que je m'en suis rendue compte.
Avant d'aller plus loin, définissons la notion de "nullité". Dans les propos qui suivent, j'entends la nullité comme le degré zéro de compétences et de connaissances sur un sujet nouveau. Il n'y a aucune dimension de comparaison. Etre nul, dans ma conception, n'est pas relatif au niveau d'autrui. Autrement dit, je n'ai jamais joué de violon, je suis nulle lorsque je prends mon premier cours. En revanche, je joue du violon depuis dix ans mais je suis celle de mon groupe qui en joue le moins bien, non, je ne suis pas nulle (dans ma définition du terme)(que je vous invite à partager parce que se considérer comme nul parce que les autres sont meilleurs, c'est franchement se mettre des bâtons dans les roues et la vie est suffisamment longue et pénible). Le sujet étant posé, je peux poursuivre : être nulle ne me dérange pas parce que je sais que je ne vais pas le rester, et cette certitude me porte beaucoup.
Évidemment, ça n'a pas toujours été le cas. Comme tout le monde, j'ai eu ce frein. Plus qu'un frein même, une raison de ne pas faire. "Non, je suis nulle", "Non, je vais être nulle", cette deuxième proposition étant probablement pire puisqu'elle s'appuie sur l'anticipation de sa nullité potentielle... Je ne sais pas à quel moment j'ai eu un déclic mais j'ai finalement compris deux choses : (i) être nul n'est pas problématique ; à la limite, c'est le rester qui l'est et (ii) être nul, c'est génial.
(i) Démarrer une nouvelle activité (au sens très vaste comme un sport, la lecture, la broderie, un instrument, etc.) et être nul dans cette activité, ce n'est pas grave : c'est normal. Personne n'a joué Mozart à son premier cours de piano, personne n'a résolu un théorème sans la moindre leçon de maths, personne n'a... vous avez l'idée, cette énonciation est infinie. Peut-être que vous aimeriez être une personne exceptionnelle qui fait preuve de dons invraisemblables et réalise l'irréalisable mais, dans ce cas, c'est une problématique d'ego. Et je le dis sans mépris aucun puisque c'est un travail que j'ai dû faire moi-même. J'aurais adoré être une personne exceptionnelle avec des dons invraisemblables mais comme cet espoir m'a surtout menée à me décevoir en permanence, j'ai décidé de changer mon angle d'approche. Le jour où j'ai compris que c'était normal que je sois nulle, je me suis détendue. Et j'ai commencé à kiffer. Parce que si tu es nul, c'est parce que tu n'y connais rien. Ce qui signifie qu'il y a plein de choses à apprendre et c'est une idée que je trouve exaltante (et décourageante aussi, en un sens, mais restons sur le positif) ! L'idée d'être nulle a cessé de me bloquer et de m'empêcher de tester de nouvelles activités. J'ai tenté, j'ai été nulle, j'ai trouvé ça normal, j'ai poursuivi et j'ai adoré !
(ii) Ce qui est génial avec le fait d'être nul, c'est qu'on ne le reste jamais longtemps. Parce qu'on part de tellement loin, de tellement zéro que parvenir à l'échelon numéro un se fait très vite ! Dans la pratique sportive, essayer de courir un 10 kms non pas en 2h mais en 1h30 est beaucoup plus accessible que le courir en 40 min au lieu de 45. Encore une fois, plus on part de loin et plus on progresse rapidement et c'est galvanisant. En tout cas, moi ça me galvanise avec, à la clé, ce sentiment si agréable et précieux de satisfaction personnelle. Le jour où j'ai commencé à apprendre le développement web et où j'ai réussi à afficher "Hello" sur une page web blanche, j'ai eu l'impression d'avoir des super-pouvoirs !
La certitude que j'ai que l'on ne peut pas ne pas progresser joue beaucoup dans mon appréciation de ma nullité. Autrement dit, comme JE SAIS que je ne vais pas rester nulle, je m'en fiche un peu d'être nulle. C'est un état transitoire. Cette certitude s'est construite au fil du temps. J'ai eu suffisamment d'expériences d'apprentissage pour être convaincue qu'on ne peut pas rester nul. On peut progresser, atteindre un plateau et stagner à ce plateau mais on ne peut pas rester nul (c'est à dire au niveau zéro de la connaissance et de la compétence sur un sujet nouveau comme je l'ai défini plus haut)(Est-ce que cette newsletter a de furieux airs de dissertation ? Absolument).
Après mes deux ans de classe préparatoire où j'avais habilement choisi mes matières (et conséquemment plafonné à 1,5 de moyenne en mathématiques), je suis arrivée à l'université Paris-Dauphine où faire l'impasse sur les maths n'était pas une option. J'ai du retrousser mes manches. J'étais nulle. J'ai beau avoir la tête bien faite, elle a tout de même ses sujets de prédilection et la logique numérique n'en fait pas partie. Au-delà même de la logique, j'ai du mal à mémoriser des nombres. Je retiens très facilement des lettres, des mots mais, des chiffres, vraiment bof. Du coup, j'ai bossé et j'ai bossé comme quelqu'un qui n'a pas de facilités, c'est à dire de façon très laborieuse. Mais ça a payé. (Je sais, j'ai défini la nullité dans le cadre de sujets nouveaux qui seraient abordés or j'étudie supposément les mathématiques depuis le CP mais je considère que le biais de la pédagogie dans le cadre des matières scolaires explique parfois qu'on puisse rester nul malgré des années d'études. Ceci ouvre plus largement la porte au débat sur les conditions et moyens d'apprentissage à l'école mais je ne pousserai pas cette porte puisqu'il y a déjà bien assez de parenthèses dans ce texte). Autres illustrations : lorsque j'ai démarré la course à pied, je vous en ai déjà parlé, je n'étais pas capable de courir trente minutes d'affilée. C'était physiquement impossible. Deux ans après, je faisais des trail de 20 kms. Loin de moi l'idée de dire que je suis devenue une championne mais j'ai cessée d'être nulle. Depuis le mois d'octobre, j'apprends à jouer du ukulélé. Je n'ai jamais joué aucun instrument, on peut donc considérer que je pars de zéro. Aujourd'hui, je ne peux pas mettre de billets en vente pour le Zénith mais je sais jouer "Voyage en Italie" sans heurts et ça me réjouit !
Etre nul n'est pas une fatalité. Etre nul n'est pas grave. Etre nul ne nous définit pas en tant que personne. Ca serait tellement chouette si la nullité cessait d'être un jugement, une sanction mais qu'elle ouvrait au contraire la porte à des horizons joyeux ! Vraiment, soyez nuls, je vous le souhaite du fond du coeur. Parce qu'être nul, c'est l'opportunité de ne plus être nul, d'apprendre et de s'enrichir.