Le rêve de l'exil

J'ai une envie récurrente d'exil. Très souvent, je rêve de partir une semaine. Seule. Avec ma liseuse, mon ordi, mon vélo, mon pyjama polaire léopard. Je fantasme une bulle loin de tout. Je m'imagine le calme, le silence, la sérénité, la paix. Je me dis que ça me ferait tellement de bien.

Le Pédiluve
4 min ⋅ 15/01/2024

[Article écrit le 27 février 2022]

Je voulais vous parler de l'expérience de la semaine off que j'ai eue suite à un test positif au Covid il y a quelques semaines maintenant. J'ai annulé mes cours au studio et, en l'absence de symptômes forts, j'ai pu profiter de temps longs. Ca m'a fait quelque chose et je voulais vous parler de ça mais je ne voyais pas pourquoi. Je ne voyais pas ce que je voulais dire précisément. Je sentais un propos plus profond sans parvenir à mettre le doigt dessus MAIS CA Y EST. Je sais ce que je voulais dire. Du moins, je sais quel questionnement je voulais soulever. Du coup, je vais repartir de zéro parce que ce n'est pas une introduction pertinente pour le sujet que j'ai identifié vouloir aborder.

 J'ai une envie récurrente d'exil. Très souvent, je rêve de partir une semaine. Seule. Avec ma liseuse, mon ordi, mon vélo, mon pyjama polaire léopard. Je fantasme une bulle loin de tout. Je m'imagine le calme, le silence, la sérénité, la paix. Je me dis que ça me ferait tellement de bien. De pouvoir observer le temps passé, de n'avoir aucune obligation, d'oublier le langage des responsabilités, de m'ennuyer. Dans ce rêve, je m'imagine une petite bicoque en bois perdue au milieu de nulle part avec de grandes vitres. Les grandes vitres sont importantes parce qu'elles symbolisent l'espace et ce symbolisme est intéressant. Je pense qu'il parle à beaucoup de monde, même si je ne suis pas certaine qu'il soit si prégnant chez tout le monde.

C'est quelque chose dont j'ai pris conscience en Inde. Je suis allée là-bas pour une formation professorale et je suis arrivée avec... le dos bloqué... J'avais depuis longtemps envie de faire une consultation dans un hôpital ayurvédique, j'ai donc profité de cette nécessité pour tenter l'expérience. La médecine ayurvédique repose sur une considération holistique de l'individu, c'est à dire que l'on prend l'individu dans son ensemble, au sens vraiment très large comme vous allez le découvrir. A l'inverse, notre médecine occidentale est dite allopathique, c'est à dire qu'elle traite des symptômes. Dans ce cas, si tu as mal à la tête, on va te donner un truc contre le mal de tête. Dans le cas des médecines avec cadre holistique, on va s'interroger sur l'ensemble des raisons qui pourraient expliquer ce mal de tête et tenter d'identifier la cause plutôt que de combattre les symptômes.

 Revenons à mon histoire.

Je suis dans un hôpital ayurvédique. Je m'assois pour la consultation, j'explique que je vis ma meilleure vie, que je suis supposée être apte à bouger mon corps sept heures par jour sur un tapis, que j'ai le dos bloqué, et que, donc, non, pas du tout, je ne vis pas du tout ma meilleure vie. Le médecin commence à me poser des questions. Très larges, les questions. L'entretien se déroulait en anglais. Pour vous dire à quel point certaines questions m'ont surprise, j'ai mis ma compréhension de l'anglais en doute plusieurs fois, préférant lui demander de répéter car persuadée que ce que j'avais compris ne pouvait être véritablement sa question.

Il y a notamment une question que je lui ai faite répéter trois fois. TROIS FOIS. Cette question est la suivante : est-ce qu'il y a un élément constant dans vos rêves ou vos cauchemars ? Il m'a fallu plusieurs échanges pour comprendre que le médecin ne me questionnait pas sur un schéma récurrent mais bel et bien sur un élément au sens des 4 éléments naturels que sont le feu, l'eau, la terre et l'air*.

Je suis en slip, assise sur une chaise en bois hautement inconfortable et je ne sais pas quoi répondre. Pour une fois, c'est une question que je ne me suis jamais posée. Je prends le temps de réfléchir et je finis par dire "oui". Oui, il y a bien un élément récurrent dans mes rêves et mes cauchemars. Je ne décèle pas de schéma commun, les scénarios sont cesse différents mais, en y réfléchissant, je discerne un noyau et ce noyau est l'espace. Mes cauchemars sont toujours les mêmes et impliquent une contrainte physique d'enfermement, une perte d'espace. Ce sont des gens qui me poursuivent pour m'enfermer, ce sont les murs d'une pièce qui se resserrent sur moi, ce sont mes vêtements qui rétrécissent et enserrent mon corps de plus en plus fermement.

 En-dehors de la sphère onirique, l'espace, la façon dont je le mobilise, est essentiel dans la gestion de mes émotions. Il y a encore quelques années, lorsque j'étais triste, j'allais dans une petite pièce, voire un placard. J'ai besoin de récréer ce que le corps fait naturellement en se repliant avec les jambes contre la poitrine et les bras autour des tibias. Je me replie et je me réfugie dans une configuration d'espace enveloppante, sécurisée et sécurisante. Lorsque je suis en colère, qu'il n'y a plus assez de place dans ma tête pour tout contenir, je vais dehors. Lorsque je fais du vélo, c'est cet espace, tout cet espace grand devant moi, qui me fait tant de bien et c'est toujours dans l'immensité que je trouve de l'apaisement. Peut-être que tout le monde est comme ça (je ne parle pas de s'enfermer dans un placard), peut-être que j'enfonce de nouvelles portes ouvertes, peut-être que c'est de la psychologie de comptoir médiocre, peut-être que c'est bateau, mais je ne pense pas. Lorsque je regarde autour de moi, oui, la majorité des gens apprécie une balade en extérieur mais ça ne m'apparait pas comme un élément constitutif de leur équilibre personnel. Dans mon cas, je sais que ça l'est.

Tout ça pour dire que l'ouverture et l'espace sur lesquels je fabule dans mon rêve d'exil ne sont pas anodins et qu'ils viennent très probablement en réponse à une impression d'enfermement que je ressens parfois dans ma vie (finalement, si, en relisant cette dernière phrase, on est sur de la psychologie de comptoir médiocre).

Peut-être qu'il y a un élément également dans vos rêveries, vos envies qui est un pilier de votre personne. D'ailleurs, en parlant de rêveries, revenons à cette semaine d'exil. Pour vous dire à quel point cette pensée est un bonbon, sachez que je m'y projette comme on se glisse dans un bain chaud avec un maximum de savon qui a moussé et fait des bulles et la chaleur qui remonte le long du pied et les frissons et le corps immergé en entier et c'est certain je ne sortirais plus jamais de ce bain parce que rien, absolument rien, ne pourrait être plus agréable que cette sensation de chaleur et de mollesse et je le découvre tout à coup : je n'ai aucune ambition autre que cette sensation.

Maintenant que vous savez à quel point cette envie est dense chez moi et à quel point je la considère comme une échappatoire salvatrice, je peux vous dire que je sais aussi qu'elle est fausse et que je me trompe. Toutefois, comme cette newsletter / lettre / missive / pelote est suffisamment longue, je vous expliquerai pourquoi dans la prochaine.

Le Pédiluve

Par Lucile Mesange

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