De l'incompréhension de ma petite sœur qui vieillit alors que c'est impossible puisque c'est ma petite sœur

Cette situation a été l'occasion d'identifier les élèves qui ont mon âge (32 ans), et je me suis rendue compte que ce ne sont pas des personnes auxquelles j'aurais donné 20 ans. L'univers est cohérent et, à deux ou trois ans près, je ne serais pas tombée bien loin de leur âge réel. Je me suis aperçue qu'à moi non plus, on ne donne pas 20 ans.

Le Pédiluve
3 min ⋅ 14/01/2024

[Cet article a été écrit en 2020, juste après le confinement, lorsque certains lieux ont été autorisés à rouvrir sous conditions.}

Dans mon studio de yoga, je dois désormais contrôler les pass sanitaires. De façon fugace car les données restent quelques secondes à peine à l'écran, je vois les prénom, nom et date de naissance. Découvrir cette dernière donnée m'a bousculée. Je ne me suis jamais interrogée sur l'âge des personnes qui viennent au studio. De façon générale, l'âge ne m'intéresse pas. J'ai déjà bien du mal à me souvenir du mien et suis obligée à chaque fois qu'on me le demande de calculer depuis mon année de naissance. L'an dernier a d'ailleurs été le théâtre d'une tragédie mathématique puisque j'étais absolument persuadée de fêter mes 31 ans. Jusqu'à ce qu'on me glisse gentiment à l'oreille qu'il y avait 32 bougies sur le gâteau. C'est pour vous dire à quel point ce truc me passe au dessus. Je ne suis pas gênée de mon âge, et je ne suis pas gênée non plus de dire mon âge.

En contrôlant les pass sanitaires, j'ai identifié les élèves qui ont mon âge, et je me suis rendue compte que ce ne sont pas des personnes auxquelles j'aurais donné 20 ans. Pas qu'elles soient horriblement marquées mais l'univers est cohérent et, à deux ou trois ans près, je ne serais pas tombée bien loin de leur âge réel. Je me suis aperçue qu'à moi non plus, on ne donne pas 20 ans. L'âge des autres m'a renvoyé au mien. Pour autant, ce n'est pas ce qui m'a le plus bousculée. La véritable claque, c'est de voir des élèves plus jeunes que ma petite soeur. Elle est née en 1993 et, peu importe son âge, c'est ma petite soeur et ça ne vieillit pas une petite soeur. Ça grandit, ça murit, ça se permet parfois de vous faire la leçon alors que c'était jusqu'alors votre privilège d'ainée, mais ça ne vieillit pas. L'âge des autres m'a renvoyée à l'âge de ma soeur. J'ai compris que je ne prends pas la mesure du temps qui passe en me regardant moi, mais en la regardant elle. Elle a 28 ans, elle en aura 29 en juin, 30 dans moins de deux ans. Un jour, ma petite soeur sera vieille, ça va arriver. Mais, si ma petite sœur est vieille un jour, alors moi je le serais aussi, et de quatre années supplémentaires !

J'aimerais vous dire que la perspective de vieillir ne m'angoisse pas mais ça serait faux. Je vois mon reflet se modifier, millimètre après millimètre, de façon quasi imperceptible mais je le connais si bien mon reflet que je remarque ses variations. Il m'a fallu tant d'années pour me familiariser avec lui, me l'approprier, me reconnaitre et voilà qu'il bouge à nouveau ce reflet. Ça fait quelques années que j'en parle ouvertement avec les femmes plus âgées qui m'entourent. Je leur demande comment elles gèrent leur corps qui change, si elles ont modifié leur façon de s'habiller, de se maquiller, comment elles se trouvent jolies désormais. Ce ne sont pas des discussions déprimantes où elles se lamentent sur ce qui n'est plus ; parce que ce n'est pas tant que les choses disparaissent mais qu'elles changent, et comment on s'adapte. C'est une question fascinante que je ne trouve pourtant que trop peu abordée. Comme d'habitude, les médias destinés à une population féminine évoluent dans leur bulle et jouent le jeu d'une société où le jeunisme est central avec la mise en avant d'icônes de 60 ans qui en paraissent 40 sur les couvertures de magazines. Finalement, ce sont bel et bien les hommes et les femmes qui m'entourent qui sont les plus à même de répondre à mes interrogations. C'est comment de vieillir ? Ca fait quoi ? Est-ce que ça fait mal ? Au corps, à l'ego ? Est-ce qu'on se trouve toujours joli ? Est-ce qu'une peau moins élastique, c'est forcément moins beau ? Comment on fait pour mettre de l'eye-liner si on a les paupières qui tombent ? Est-ce que le regard des gens changent ? Est-ce que le regard de soi change ? Est-ce qu'on est nostalgique ? Est-ce qu'on est envieux des plus jeunes que l'on croise ? Est-ce qu'on se regarde moins dans le miroir ? Est-ce qu'on lâche prise plus facilement ?

Si cette newsletter perdure, je vous dirais dans quelques années si j'ai trouvé la réponse à ces questions.

Le Pédiluve

Par Lucile Mesange

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